San Luis Obispo est une petite ville (50 000 habitants) de Californie centrale qui ne manque pas de charme. Entre sa mission catholique fondée en 1772 et élevée en hommage à Louis d’Anjou, ses vignobles, son cinéma ouvert en 1942, son hôtel excentrique baptisé Madonna Inn ou encore l’un des plus vieux quartiers chinois du pays, les visiteurs n’ont que l’embarras du choix pour se constituer un circuit touristique.


Toutefois, la curiosité la plus visitée de la ville n’est ni culturelle ni gastronomique. Coincée entre Higuera Street et Marsh Street, les deux principales rues de la ville, une ruelle d’une vingtaine de mètres de long attire toutes les attentions. Sur ses murs, haut de quatre mètres, des millions de chewing-gums de toutes les couleurs sont collés les uns aux autres, au point de masquer totalement la brique rouge. Une superposition de friandises partiellement consommées, à la fois répugnante et fascinante…



Les chewing-gums prennent toutes les formes lorsqu’ils sont collés aux murs. (Photo : Stéphane Cugnier)

Une « tradition » un peu mystérieuse


Popularisé dans de nombreux films ou livres, cet étalage peu hygiénique est loin d’être récent. « On ne sait pas réellement à quelle date remonte cette « tradition », mais il existe plusieurs suppositions, explique Molly Kern, directrice de la chambre de commerce de la ville. Certains la font remonter à la Seconde Guerre mondiale. Cette ruelle était coincée entre deux bars, et lorsque les soldats venaient y embrasser leur petite amie à la nuit tombée, ils y laissaient leur chewing-gum. Ce serait ainsi devenu un rituel et une superstition de la part de ceux qui avaient peur de ne pas revenir du combat. »


Autre hypothèse, plus potache : la raison de cette accumulation de chewing-gums serait à chercher du côté des rivalités étudiantes dans les années 1950. « Les élèves du lycée de San Luis Obispo étaient en conflit avec ceux de l’Université de Cal Poly, à l’extérieur de la ville. L’allée est alors devenue un terrain d’expression et de défi à travers les formes et les couleurs des chewing-gums collés. »



L’origine de « Gum Alley » est méconnue, mais certains pensent qu’elle remonte à la Seconde Guerre mondiale. (Photo : Stéphane Cugnier)

Fascinante et dégoûtante à la fois


Les années ont passé et plus personne ne connaît réellement la signification de tout cela. Reste que cette ruelle, communément rebaptisée « Gum Alley » ou « Bubblegum Alley », est toujours pleine de chewing-gums mâchés, en dépit de l’hostilité de certains commerçants. « Nombre d’entre eux y sont opposés. Ils estiment que cette ruelle est dégoûtante, dangereuse pour la santé et qu’elle nuit à l’image de San Luis Obispo. Ils ont financé trois nettoyages complets, dont le dernier date de 1996, mais les chewing-gums ont réapparu »


Aujourd’hui, plus personne ne tente de masquer la ruelle. Au contraire, la chambre de commerce et certaines boutiques en font la promotion. Les guides touristiques la mentionnent, des tee-shirts à son nom sont commercialisés, tandis que Doc Burnstein’s Ice Cream Lab, le plus célèbre glacier de la ville, a même baptisé l’une de ses glaces du nom de la petite allée. Quant aux autres commerçants, ils exploitent savamment ce filon inattendu, comme en témoignent les distributeurs de chewing-gums qui fleurissent en centre-ville.



Des dizaines de personnes visitent la ruelle chaque jour et y laissent une petite « offrande » sur les murs. (Photo : Stéphane Cugnier)

Attraction touristique


« Des dizaines de personnes viennent s’y faire photographier tous les jours, souligne Molly Kern. Cette ruelle est peut-être décriée, mais elle participe à la réputation de la ville. Les gens utilisent désormais la ruelle comme mur d’expression, parfois avec un certain art. Mais la plupart du temps, ils collent un chewing-gum pour faire un vœu, en y coinçant une pièce de monnaie ou un petit papier porteur d’un message. »


« Gum Alley » est aujourd’hui la dernière de ce type à subsister aux États-Unis. Le célèbre « Gum Wall » de Seattle a en effet été nettoyé l’an passé (même si de nouveaux chewing-gums y ont été collés en hommage aux victimes des attentats de Paris, en novembre dernier) et San Luis Obispo est donc devenue la capitale du chewing-gum mâché. Un titre dont elle n’a plus honte, surtout depuis qu’un patron local finance tous les mois le nettoyage à la vapeur de l’allée, afin d’en éliminer tous les microbes…



« Gum Alley » a été totalement nettoyée à trois reprises. En vain. (Photo : Stéphane Cugnier)

Les visiteurs de la ruelle coincent parfois une pièce de monnaie sous leur chewing-gum, en guise de porte-bonheur. (Photo : Stéphane Cugnier)

San Luis Obispo est la dernière ville des USA, d’après la chambre de commerce locale, à posséder une telle ruelle. (Photo : Stéphane Cugnier)